Analyse du décret n°2021-1111 du 23 août 2021 modifiant notamment les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords-cadres
Jurisprudence communautaire
A la suite d’un renvoi préjudiciel en interprétation de certaines dispositions de la Directive « marchés publics » n°2014/24/UE, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt important, le 17 juin 2021, concernant les marchés publics passés sous la forme d’un accord-cadre. Dans son arrêt Simonsen & Weel (aff. C-23/20), la CJUE a dit pour droit que les acheteurs soumis à cette règlementation doivent, dans l’avis d’appel à la concurrence, fixer la quantité ou la valeur maximale des prestations qui pourront être commandées sur le fondement d’un accord-cadre. Selon la Cour de justice, cette obligation découle notamment des principes de transparence et d’égalité de traitement (principes fondamentaux de la commande publique) dès lors que l’indication d’un maximum revêt une importance déterminante pour l’engagement des soumissionnaires devant être en mesure d’apprécier leur capacité à exécuter les obligations découlant de l’accord[1]cadre.
Modification du droit national.
Tirant les conséquences de cet arrêt de la CJUE, le décret n°2021-1111 du 23 août 2021 (publié au JO du 25 août) modifie le code de la commande publique en venant supprimer la possibilité pour les acheteurs de conclure des accords-cadres sans maximum. Ainsi, la nouvelle version de l’article R. 2162-4 du code de la commande publique prévoit qu’un accord-cadre peut être conclu selon l’une ou l’autre seulement de ces modalités juridiques :
- soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ;
- soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité.
En effet, la faculté pour les acheteurs de prévoir, le cas échéant, un minimum de commandes garanti dans un accord-cadre n’est pas impactée ni par l’arrêt Simonsen & Weel du 17 juin 2021, ni par le décret du 23 août 2021 précité. Cette option demeure donc possible, indépendamment du fait que désormais, l’accord-cadre doit, dans tous les cas, indiquer un maximum dans l’avis de marché préalable à sa passation.
Période transitoire et insécurité juridique
En retranscrivant dans le droit national les exigences posées par la CJUE, le décret du 23 août 2021 a cependant décidé de ne pas donner une application immédiate à cette modification du code de la commande publique, en repoussant sa date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2022.
En pratique, cette application différée, contestable sur le plan de la légalité, conduit à introduire une période d’insécurité juridique pour les accords-cadres susceptibles d’être passés d’ici la fin de cette année 2021 dans le cas où ils n’indiqueraient pas de maximum pour le ou les lots considérés.
Ainsi, on note déjà, à la suite de référés précontractuels engagés, des décisions de tribunaux administratifs contradictoires : il est parfois conclu à l’annulation de la 2 procédure de passation de l’accord-cadre sans maximum après avoir relevé la contrariété avec la décision précitée de la Cour de Justice du 17 juin 2021, tandis que dans un autre cas, l’annulation de la procédure n’est pas retenue en l’absence de démonstration concrète par l’entreprise concernée de la lésion alléguée.
Dès lors, durant cette période transitoire, on observe que des acheteurs, sans doute par prudence, appliquent dès maintenant la décision de la CJUE pour la conclusion de leur accord-cadre, alors que d’autres, se rangeant derrière les dispositions du décret du 23 août 2021, publient toujours des accords-cadres sans indication d’un maximum en attendant l’échéance fixée au 1er janvier 2022 pour se conformer au droit communautaire.
Pourtant, il est constant que l’arrêt Simonsen & Weel est d’application directe, s’imposant aux juridictions et autorités nationales, et d’application immédiate en l’absence de mention contraire. En effet, la Cour de justice n’a pas prévu une modulation dans le temps des effets attachés aux exigences qu’elle a posées dans sa décision. C’est la raison pour laquelle les dispositions du décret, en ce qu’elles repoussent l’application de ces exigences concernant les accords-cadres à compter du 1er janvier 2022, semblent illégales.
Dans ce contexte, les opérateurs économiques doivent donc rester vigilants, et décider de leur positionnement stratégique en présence d’un accord-cadre ne comportant aucune indication sur sa valeur ou quantité maximale.
Assurément, dans le domaine des produits de santé, l’exigence d’un maximum posée par la Cour de justice concernant les accords-cadres est de nature à protéger les entreprises, dans la mesure où elles pourront mieux anticiper leurs capacités d’approvisionnement au regard du niveau de besoin clairement exprimé dans l’avis de marché avant éventuellement de soumettre une offre. D’expérience, l’absence de visibilité sur les quantités contractuelles (accord-cadre sans minimum ni maximum) peut exposer l’entreprise, en cas de défaillance, à des conséquences financières importantes à la suite d’un achat pour compte auprès d’un tiers dépanneur.
Par Maître Éric NIGRI, avocat à la Cour